Critique du film The Bling Ring
Il y a Rebecca, l'alpha du gang, celle qui aspire à un destin de starlette de télé-réalité, vit et respire à travers les héroïnes de The Hills et rêverait, comme ça, en claquant des doigts, de se retrouver rédactrice mode, stagiaire chez Teen Vogue ou même, pourquoi pas, titulaire d'une ligne de vêtements.
Il y a Nicki, celle qui se rêve femme fatale – plutôt gogo danseuse – calquée sur le modèle des clips qu’elle voit défiler tous les jours à la télé, élevée dans un cocon familial pro-développement personnel, éduquée selon des préceptes obscurs, ou inéduquée tout court. Il y a Marc, le parfait inbetweener mais lucide, celui qui voudrait être cool, populaire, admiré, bref, selon lui la seule façon d’être respecté. Il y a Chloé, celle qui est tellement plus mature que tous les autres, qui mène déjà sa petite vie d’adulte – rebelle – , boit, fume, se drogue, conduit et trouve ça cool. Il y a Sam, peut-être plus influençable que ses compères de délit, celle qui trouve tout dément et, toujours en arrière-plan, s’éclipse parfois du tableau destructeur. A eux tous, ils forment le Bling Ring.
Sofia Coppola s’est inspirée d’un fait réel pour son nouveau long-métrage. Un fait divers ayant pris ses lettres de noblesse grâce à Vanity Fair, et dont les composantes résonnent si bien dans ce culte actuel du néant. Ses protagonistes sont avides de ce spectacle, celui du vide, de l’argent, de la célébrité, du matérialisme toujours plus poussé. Partant d’un bête pari, certains plus têtes brûlées que d’autres mais tous également fascinés, ils vont s’approprier bout à bout la vie tant idolâtrée de la jet set dorée, juste pour s’amuser. Vols de vêtements, de chaussures, d’accessoires, de robes « que Lindsay avait à la soirée Cosmopolitan » ou « que Paris portait la semaine dernière », écorchant en une moue boudeuse les noms des marques françaises de leur accent insistant, ces adolescents inconscients biberonnés aux amphétamines – Adderall – , aux réseaux sociaux et à la real tv ne font qu’acquérir leur dû, celui qui leur revient de droit, juste parce qu’ils en ont envie. Les revendre au videur frauduleux de la grosse boîte d’à côté, ou conserver les plus belles pièces so couture, un choix qui, comme tout le reste, leur appartient. Après tout, Paris Hilton n’avait qu’à pas laisser sa clé sous son paillasson, Miranda Kerr et Orlando Bloom n’avaient qu’à pas annoncer sur internet leur présence à une soirée, Lindsay Lohan n’avait qu’à pas se faire prendre en flagrant délit de conduite en état d’ivresse, ça personne ne saurait le leur reprocher, si ? L’inconscience, si bien matérialisée par le jeu de Sam avec un revolver trouvé chez l’une des victimes, « trop dément », trop marrant appuyé sur la tempe de son ami Marc. A l’heure où tout le monde devient star en s’exhibant dans les médias, pourquoi pas eux, eux dont les soirées consistent à surtout se prendre en photo sous tous les angles – avec un ou plusieurs verres sinon rien – , pratiquer avec professionnalisme le binge drinking, être égéries sans le contrat, sniffer de la cocaïne et trouver ça cool, chanter à tue-tête sur les derniers tubes de M.I.A et de Kanye en voiture bien beurrés, faire du pole dance dans le club privé de Paris Hilton, vivre à mille à l’heure et à mille billets de l’heure, et surtout, surtout, s’en vanter auprès de tout le lycée et sur leurs CV aka Facebook privés publics ?
Plans rapprochés, profusion du luxe clinquant à toute vitesse, exubérance des couleurs chocs rappelant les codes fantasques de Marie-Antoinette, la réalisatrice maîtrise cette avalanche serinée de too much, et en même temps de rien, d’aucun fond, dont ne reste que la pacotille. Du fond, il n’y en a guère plus dans les dialogues. Minimalistes mais réalistes, sevrés jusqu’à l’indigestion d’expressions vulgaires ou plutôt d’interjections, pompés sur les shows télés dont les acteurs ont dû s’abreuver, The Kardashian Family, The Simple Life et Pretty Wild en tête d’inspiration. Un rythme effréné, soutenu jusqu’à l’essoufflement, parfois entrecoupé de ralentis esthétiques en numérique, prouesse technologique plébiscitée par Sofia Coppola pour la première fois. Un rythme effréné qui ne peut mener qu’à un frein brutal, douloureux, final. Cette sentence dont l’ombre planait toujours un peu plus, cette fin courue d’avance qui devait bien finir par les rattraper et qui, pourtant, est vécue comme un choc.
Synonyme d’un retour à la normale ? Pour certains, oui. Pour d’autres, c’est l’heure de gloire qui commence. Paradoxalement, c’est le tapage médiatique autour de l’affaire qui sonnera les premières cloches de leur requête suprême. Les paparazzis, passionnés par l’épisode – comme d’une quotidienne de soap – , les centaines de demandes d’amis et créations de pages fans. Ils seront devenus des people et, parfois, le cultiveront. C’est tout le fleuron de la société postmoderne, centrée sur l’individu et le facile. C’est une histoire que l’on connaissait tous et qui, pourtant, nous effare encore. Conçu comme un documentaire au ton neutre, presque absent, pour une portée maximale, une plongée dans les abysses d’un monde qui ne tourne pas rond, le long-métrage de Sofia Coppola est une formidable transfiguration de cette attraction du pire, du buzz populaire à vocation consommable. « Les suspects portaient des Louboutins« , titrait Nancy Jo Sales dans Vanity Fair. Et ô combien d’imposteurs en escarpins de marques foulent quotidiennement le pavillon des unes. Nicki, dévoilant à l’issue du tragique événement son changement de cap et sa volonté d’être un jour présidente de la République, faisant résonner ses stilettos et relevant sa mini-jupe sur le chemin du tribunal, nous rappelle un exemple français récent, tout autant consternant.
Informations pratique :
- Sortie en France : 12 juin 2013
- Durée : 98 minutes
- Réalisation : Sofia Coppola
- Casting : Emma Watson (Nicki), Katie Chang (Rebecca), Claire Alys Julien (Chloe), Taissa Farmiga (Sam), Erin Daniels (Shannon), Israel Broussard (Marc)
- Cameo : Kirsten Dunst, Paris Hilton
Le trailer, la vidéo de la bande annonce en français de The Bling Ring :